Jean-Marie Torque

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JEAN-MARIE TORQUE selon Guy Chaplain

Dans son atelier, JMT nous accueille. Ambiance lumineuse le blanc domine.
Dehors des plantes sur une petite terrasse entourée d’un muret.
C’est là, sa derrière « clôture », sa cellule, son antre, son scriptorium.

Sur sa grande table d’architecte, un carton noir et blanc, moucheté… Une vingtaine de feuilles (blanches), format raisin.

Commence l’effeuillage. C’est sa dernière série d’œuvres sur papier.
Une Suite, comme en écho à l’univers de la musique : Thème et variations.

Se révèlent alors des compositions dont le référent peut évoquer, implicitement, comme des métiers à tisser manuels, de basse-lice.
Fils, chaîne, trame, laize, … seraient là, dans leur données basiques, élémentaires
*.

Le regard est d’abord capté à droite, par un équivalent de « la chaîne » -large ruban partant du bord de la composition. Cette surface, est sillonnée par des dizaines et des dizaines de lignes droites noires, parallèles, en rangs serrés, comme peignées. Volonté évidente de régularité.
À distance, un beau gris, vibrant.

Puis, une zone médiane, assez large bande, « la laize » qui barre souvent obliquement, la feuille. Elle est structurée par la continuité des lignes droites de « la chaîne », mais par l’addition d’autres traits intermédiaires, parfois biaisés, elle peut s’ornementer d’effets moirés.

Cette laize est bloquée de par et d’autre, par des sortes de butoirs de sa largeur, noirs ou colorés : rouge, bleu. Peu de vert.
Elle est l’intermédiaire subtile, l’entre deux, la marche palière, avant la descente, l’apique…la chute.
Chutes des lignes, des traits soumis au vide, en courbes, contre-courbes, boucles. Riches effets ondulatoires **.

JMT joue essentiellement des antagonismes, des contraires. Il affectionne, dans cette série, le duo/duel, l’ambivalence de nature, d’un côté la surface-bloc des lignes droites, de l’autre la surface-bloc des lignes courbes, qui ruisselle jusqu’au hors champ..

Dans ces œuvres là, il a de la discipline, de l’ascèse, du rituel, du rythme ***.
Chaque œuvre de cette série est un exercice obstiné de maîtrise, maîtrise des outils, quête d’une maîtrise de soi, radicalement !

Au Japon, le sable du Ryōan-ji est ratissé chaque jour, suivant les mêmes configurations qu’imposent les limites extérieurs et les rochers du jardin. Quête de perfection !
Mais chaque ratissage varie, incontestablement, comme chaque trait, chaque tracé décidé par JMT.
Les traits au stylo-plume, sont (presque) parfaits. Presque, car la nature de l’outil, sa tenue à la main, l’encre, le papier, et pour une grande partie la règle, engendre malgré tout, de petites variations, fines vibrances, qui se révèlent au regardeur attentif.
JMT en moine zen, se joue avec volupté de ces, (de ses) petits écarts.

La Règle, la rigueur affirmée des aires aux droites lignes se révèlent plus sensibles qu’il n’y parait au premier regard.
Pareillement, le flot lâché des courbes et des contre-courbes, ont des volutes décidées, mais parfois enjouées, voire chahutées, presque folles…
(Même les religieux après les exercices spirituels, les méditations, rient de bon cœur à la récréation.)

JMT n’est pas un artiste du XVII ème français, affirmant le classicisme contre le baroque.
Il nous offre, dans des propositions claires, le souci d’en faire conciliation, heureuses harmonies, mais chacune à sa place.
JMT nous met dans une vraie position du ludion dans son bocal, balançant dynamiquement entre ces antagonismes flagrants, et /mais veut complémentaires.
Des pôles contraires naissent l’énergie.

Même si la psyché est fendue, Janus s’affiche créatif, délibérément !

08/10/2020 Guy Chaplain

NOTES :

* Allusion possible enrichie par la cosmogonie des Dogons qui considère que tisser, c’est construire la parole, l’articuler, c’est créer du sens. C’est aussi le tissage qui exprime en même temps, le masculin et le féminin.

**Pensée flottante, possiblement sensuelle, de femmes aux chignons strictes, dénouant, empressées, leurs longues chevelures enfin libérées.

(Se rappeler la pertinente analogie, en français, entre le verbe peindre, et le verbe peigner.
Ils peignent. Ils se peignent. Réf M Duchamp.)

***Voire un parallèle avec les psychologies singulières des coureurs de fond, des navigateurs solitaires engagés dans une grande traversée, ou, dans d’autres cultures, la danse des derviches-tourneur.
_ JMT lui, serait obsessionnellement « derviche-ligneur-traceur », après avoir été éminemment « grand-souffleur » dans une période antérieure aussi très créative.